Music Un brin de culture

Revolver, au coeur d’une revolution technique

5 août 2016
Revolver

***L’album Revolver, des Beatles, est sorti il y a 50 ans… aujourd’hui ! Je n’étais bien sûr pas au courant de cet anniversaire jusqu’à ce Maxime ne m’en parle. Alors je lui laisse la place pour qu’il nous parle de ce super disque !***

Nous fêtons aujourd’hui le cinquantième anniversaire de l’album Revolver des Beatles. Un disque qui a eu une influence incommensurable sur le monde de la pop, et sur lequel chacun des Fab Four semblait être à l’apogée de son inspiration artistique. L’égalité règne sur cet album, comme sur aucun autre des Beatles : Lennon a cinq chansons, McCartney six, Harrison trois. Il y a même une incursion de Ringo Starr à la voix (sur le très connu « Yellow Submarine »). Mais la participation la plus significative du batteur ici est, assez justement, la batterie elle-même. Starr est au sommet de son énergie, laquelle est soulignée par le processus d’enregistrement.

Pour être honnête, je suis loin d’être un expert sur la question des techniques d’enregistrement, mais j’ai lu une chose ou deux sur la manière dont l’incroyable son de batterie de Revolver a été obtenu. Ce son est principalement le fait de Geoff Emerick, un nouvel ingénieur du son, engagé sur les sessions du plus grand groupe du monde, à à peine vingt ans. Brisant toutes les règles d’or qui avait perduré jusque là chez EMI, Emerick décide de placer le micro (un AKG D20), non pas à 46 cm de la grosse caisse, mais à 8 cm seulement. Son micro est alors si proche de la source, que le son risque de saturer, et peut-être de casser la membrane de l’appareil. Pour éviter cet inconvénient, Emerick décide de fourrer un énorme pull-over dans la grosse caisse, et de faire passer le signal à travers un compresseur Fairchild.

Un compresseur, comme son nom l’indique, sert à compresser le son, c’est-à-dire à réduire la différence entre le son le plus fort et le son le plus faible d’un signal. Cette différence est appelée la dynamique du signal. En travaillant sur la dynamique, l’ingénieur peut reproduire la plus grosse explosion comme le plus imperceptible murmure, sans nous anéantir les oreilles. Sur certains compresseurs, surtout les compresseurs vintage utilisés par Emerick, le son peut se mettre à « pomper », comme s’il passait et repassait dans un tube étroit. Cette impression est due à une latence dans le processus de compression : le compresseur met quelques mili-secondes à « comprendre » que le son passe de fort à faible, ou bien de faible à fort.

Sur « Tomorrow Never Knows », Emerick utilise un compresseur sur les deux micros de la batterie (l’autre est un AKG D19, placé au-dessus de Ringo, on dit en « overhead »), et il exagère la « pompe ». Résultat : la batterie semble constamment aspirée vers un autre monde, et rend parfaitement l’intention initiale de la chanson. Les Beatles ont apparemment été très impressionnés par cette réussite, surtout Ringo. Les innovations d’Emerick ont pavé la voie pour ce qui est aujourd’hui la normalité, c’est-à-dire le « close-miking » (en anglais: placer le micro proche de la source).

Geoff Emerick

Pour beaucoup d’autres instruments, le « close-miking » donne une qualité viscérale au signal ainsi q’une présence soulignée. En effet, sur un signal « close-miké », on observe une bosse dans les fréquences low-mid (entre 200 et 500 Hertz), ce qui rend un son plus chaleureux. Avant ces innovations, les règles de la production en Pop étaient grossièrement inspirées des règles de la musique classique. En bref, les micros étaient à la place des spectateurs. C’est pourquoi, à nos oreilles d’auditeurs modernes, les batteries des années 50-60 peuvent sembler lointaines, presque absentes, comme enterrées dans le mix. C’est un trait typique des productions de Phil Spector, par exemple.

On doit bien souligner que les expériences d’Emerick étaient particulièrement hardies pour l’époque, tout en considérant qu’il était l’un des membres les plus jeunes de l’équipe technique d’Abbey Road, et que « Tomorrow Never Knows » était son premier essai en tant qu’ingénieur du son avec les Beatles. Ses méthodes révolutionnaires lui donnèrent droit à un blâme de la part de la direction d’EMI. Mais très vite, elles chamboulèrent tous les grands studios. Elles causèrent également un tremblement de terre dans l’industrie des microphones : bientôt, beaucoup de micros durent être munis d’un PAD. Un PAD est un dispositif qui limite l’intensité du signal entrant, et évite une éventuelle saturation. Le « close-miking » est également utilisé sur les cordes d’« Eleanor Rigby » : les musiciens furent apparemment inquiétés de voir les appareils étranges, si inhabituellement proches d’eux, et reculaient régulièrement leurs chaises entre les prises.

Bien que j’aie des millions de choses à dire sur ce disque, j’ai décidé de me focaliser sur cet aspect sous-estimé du processus d’enregistrement. Nous oublions souvent que d’extraordinaires techniciens et ingénieurs, comme Geoff Emerick, ont eu un rôle d’une importance indéniable dans l’élaboration du son de certains artistes. Même si leur noms n’apparaissaient pas sur la pochette… Fort heureusement, le travail d’Emerick fut reconnu publiquement deux ans après Revolver, lorsque Sgt. Pepper lui valut de recevoir un Grammy Award pour album le mieux enregistré.

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